Penser l’urbanisme transitoire comme un urbanisme de la transition

Actions temporaires vs Processus pérennes

On assiste aujourd’hui à une explosion des projets dit d’urbanisme temporaire ou encore d’urbanisme transitoire. Les appels d’offres publics se multiplient, les commandes de maîtrise d’ouvrage privée également. Face aux évolutions des logiques d’aménagement qu’illustrent bien les programmes « réinventons », forme de délégation au secteur marchand qui a son intérêt à produire la ville, ces acteurs privés sont incités à plus « d’innovation », à développer des propositions « responsables » d’un point de vue sociétal et « respectueuses » des territoires.

Face à cette situation, en tant que professionnels de la ville, concepteurs, acteurs publics et opérateurs urbains concernés par la production d’une ville généreuse et bénéficiant à tous, nous nous devons de nous opposer à cet urbanisme « transitoire » et de revendiquer un urbanisme de la transition, un urbanisme qui intègre la souplesse, l’itérativité et la capacité à inclure les ressources du territoire pour créer des villes réellement soutenables d’un point de vue environnemental, mais également social et culturel. Il s’agit pour nous d’affirmer l’horizon politique qui les guide.

La multiplication de ces actions et de ces formes hybrides de projets se revendiquant d’un urbanisme inclusif, « à échelle humaine », « attentive au contexte » constitue la réponse parfaite pour certaines problématiques. Elles constituent une forme de caution responsable pour des maîtrises d’ouvrage et des acteurs opérationnels qui déploient aujourd’hui un urbanisme plus technocratique dans lequel rentabilité et développement économique constituent les deux moteurs de conception et d’aménagement.
En plus de répondre à de nouvelles exigences, ces formes d’urbanisme « tactique » (compris par certains opérateurs comme une échelle spatiale et temporelle anecdotique) sont porteuses d’autres avantages non-négligeables : elles sont de formes légères (installations et lieux temporaires, animations événementielles) ce qui permet d’éviter un marquage physique trop fort et une économie en terme d’investissement pour le commanditaire, le tout pour une optimisation et une valorisation foncière indéniable. Néanmoins, les conditions d’intervention restent souvent précaires et utilisées comme une sorte d’urbanisme « low-cost ».

L’énoncé « urbanisme temporaire » qui a aujourd’hui pris l’ascendant sur toute la terminologie ayant émergé depuis deux ans définit parfaitement ces nouvelles formes d’action et leurs objectifs : occuper les temps critiques du processus urbain comme des parenthèses animatoires, des formes d’alibi inclusif pour produire de l’exclusif par la suite, des intercalaires permettant d’animer ces moments sensibles de la latence (achats du foncier, passations des terrain, négociations…) et du chantier.

Cet urbanisme temporaire a l’intérêt d’apporter une forte valorisation en terme d’image, de désamorcer des situations d’oppositions citoyennes, et surtout de valoriser un patrimoine gagnant alors en valeur foncière. Il constitue aussi un nouveau secteur marchand, encore parfois précaire, pour de nouveaux opérateurs fondant une économie sur du débit de boissons installé dans des friches vernies de « socio-culturel ».

Un autre danger émerge : les acteurs et organismes publics peinent à saisir les enjeux profonds de ces pratiques et les regardent encore trop souvent comme un mode de gestion participatif et de communication. Il n’y a qu’à voir les différentes études produites par différents organismes publics, instituts d’urbanisme et laboratoires. Ils sont les acteurs-clé dans l’infusion d’une culture opérationnelle et l’élaboration d’outils et de cadres opératoires adaptés à ces formes d’urbanisme émergentes. Mais dans cet exercice, ils se doivent bien de saisir les enjeux éthiques et l’horizon politique sous-jacents qu’elles portent. Autrement, tout le travail mené ne servira que d’autant plus les intérêts privés au détriment du bien commun.

Face donc à ces formes simplement saisies comme « transitoires », « événementielles » et animatoires, nous devons revendiquer la valeur réelle de ces formats d’action qui portent en germe une autre manière de penser l’aménagement. Nous défendons l’idée d’un urbanisme processus, en capacité d’intégrer les transformations sociétales, territoriales, qui échappent bien souvent dans le temps de conception et de mise en œuvre. Ces temps sont une richesse pour faire émerger des potentiels, préfigurer des possibles, expérimenter d’autres formes d’aménagement. Il s’agit de faire évoluer les cultures et d’intégrer de nouvelles matrices de projet qui pensent la ville et sa production comme des processus souples, inclusifs et ouverts, en capacité de faire évoluer les formes construites et de porter des dynamiques locales, citoyennes et responsables. L’exercice à mener pour modifier cette culture de l’aménagement peut être long et complexe parce qu’il nécessite de modifier les manières d’écrire les appels d’offres, le fonctionnement des services, l’attente des élus…

Il s’agit donc dès maintenant d’affirmer les ambitions et les enjeux dont sont porteuses ces pratiques d’urbanisme « au présent », en capacité d’intégrer la crise actuelle grandissante et les incertitudes de demain. Ceci demande de sortir des routines administratives et de conception. Chacun doit modifier ses manières de faire : aux concepteurs et « fabricateurs » d’être prêts à concevoir des dispositifs au-delà d’un usage temporaire, aux bureaux d’urbanisme et d’architecture d’être capables de travailler main dans la main avec ces concepteurs contextuels, aux services techniques des collectivités de sortir d’une certaine normativité établie, aux élus de prendre le risque d’une création qui n’est pas déjà dessinée et communicable au moment où un chantier s’engage.
L’intermédiaire n’est pas le temporaire, il n’est pas une parenthèse festive. L’intermédiaire est un entre-temps, une action dans et pour le réel, menée dans le moment critique de la transformation des territoires. Il est un passeur entre un avant et un après, entre les réalités opérationnelles et les désirs d’un territoire, entre les exigences d’équilibre financier et les exigences sociales et écologiques que devraient réellement porter tous les projets d’aménagement. La ville d’après-demain se pense et se conçoit aujourd’hui, mais demain est inconnu, avançons donc pas à pas vers un horizon soutenable pour nos territoires et les lieux qui les composent.

 

 

(Merci à Hyperville pour les relectures)